Salut
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De retour après une semaine dans la verte ou plutôt… le jaune, je vous fais un petit retour sur ce trip dans le Sahara, déjà évoqué dans
le fil sur la bobologie. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de vous raconter mes vacances mais d’essayer de donner des détails sur ce qui colle avec le sujet du forum dans cette randonnée chamelière (on marche et les « chameaux » portent les bagages contrairement à une méharée où l’on monte les dromadaires).
Nous avions été nous balader avec les enfants, il y a 3 ans, dans le Sahara, grâce à une petite agence de voyage créée par une Française, tombée amoureuse du Grand Erg Oriental, au sud de la Tunisie. Cette fois-ci, nous avions décidé d’aller nous frotter à ce grand désert à un moment où il fait beaucoup plus chaud et en allant plus profondément encore, dans ce qui reste malgré tout, ne nous trompons pas, l’orée du Sahara. Le parcours faisait un peu plus de 100 km.
Donc une semaine un peu engagée mais pas trop, avec le soutien indispensable de cinq dromadaires pour porter la charge. Un guide qui parle français, un chamelier (vieux gardien de troupeau) qui connaît le désert comme sa poche. L’objectif est de vivre au plus près de la réalité des nomades itinérants de cette partie du Sahara. Pas de confort, un couchage sommaire, 6 heures de marche par paquets de deux heures environ par jour (pas trop dur), ni douche ni sanitaire, seule la bouffe, toujours soignée, permet d’assurer un sentiment de bien-être.
Le dépaysement vient du changement brutal d’environnement (il n’y a plus rien de solide : ni maison, ni mur, ni route, ni chemin, juste du sable et du vent), de la lecture complexe du paysage (trouver le sable dur dans les dunes pour faire passer les dromadaires en essayant d’avoir un itinéraire pas trop en montagnes russes pour les ménager, tout en gardant le cap) et d’une routine qui n’est pas la nôtre.
Ce n’est en aucun cas de la survie mais bien de la vie sauvage. L’intérêt est que c’est la seule activité outdoor où j’ai pu entraîner Madame (elle n’avait jamais dormi sous la tente avant notre expérience d’il y a trois ans) et elle veut bien y retourner parce qu’elle peut monter un dromadaire (ce qui l’éclate). Après, gérer le soleil, le vent, le sable lui paraît de la rigolade dans ces conditions. Bref, c’est notre truc et ça nous permet d’aller graduellement vers des randonnées plus engagées dans cet univers.
Le ventAprès une première nuit dans le désert dès notre arrivée, nous démarrons notre randonnée (Madame sur son dromadaire et moi à pied) au moment où le vent d’est se lève. Il est midi quand nous comprenons qu’il va durer toute la journée car il forcit régulièrement. C’est la saison. Le sable léger du Sahara s’envole à chaque bourrasque, décorant chaque sommet de dune d’une vapeur éphémère. Mais sous le décor, la réalité. Le sable est doux parce qu’il est fin. Parce qu’il est fin, il vole. Comme il vole, il entre partout. Désormais, nos yeux nous démangent. Il aura fallu moins de 3 heures pour rendre la progression pénible.
Dame Corin adopte le masque de ski par-dessus les lunettes de soleil. Elle ne le quittera que 36 heures plus tard (je n’aurai jamais imaginé voir ma femme dormir avec un masque de ski…
). Arrive le soir, le vent continue de forcir. La tente est montée dos à l’est. Les bourrasques la secouent.
Cette tente berbère est un vaste rectangle de laine épaisse. Elle est entièrement ouverte d’un côté. Pour nous côté ouest, côté désert, cette nuit-là.
Le vent du Sahara est lié au changement de température en saison. Le Sahara encore froid est désormais réchauffé par un soleil plus ardent. S’en suivent des déplacements de masses d’air. La nuit, le phénomène peut s’inverser. Le vent qui allait vers l’intérieur des terres repart en sens inverse.
Cette nuit-là, c’est ce qui se passe. Le vent tourne. Il est désormais d’ouest avec des rafales de facile 80 km/h, sans doute plus. Il s’engouffre sous la tente. Elle se gonfle violemment comme sous l’effet d’un cou p de canon. Plusieurs fois, nous pensons la perdre. Des cordes lâchent. Des piquets s’arrachent. Il faudra l’arrimer en passant des cordes par-dessus pour être sûr de la maintenir. Toute la nuit, le vent va souffler sans baisser.
Dame Corin n’a pas fermé l’œil et moi, pendant ce temps-là, je pionce comme un bienheureux. En effet, nous avions barré la moitié de l’entrée de la tente, juste devant notre couchage avec la Space Blanket. Calée en bas avec du sable, elle ne sera délogée qu’une fois par le vent (occasion de se rappeler que si l’on veut qu’elle reste en place, il faut la caler dans le sens opposé au vent…
). En dehors de cet épisode, perso j’ai bien dormi. Dame Corin, non.
Le lendemain matin, le vent a tourné à nouveau et revient de l’est. C'est-à-dire de face pour notre parcours. Nous redémarrons avant de stopper car le sable est trop pénible. Autant dire que pour nos accompagnateurs, tout est normal. Ils ont l’habitude. Face au vent de sable, ils ferment un œil, toujours le même. Quand le vent baisse ou cesse, on peut alors constater qu’ils ont un œil rouge (bonjour l’ophtalmie) et l’autre normal. C’est l’un des points faibles des berbères : ils ne ménagent pas leurs yeux.
Si le masque de ski a convenu à Madame, je dois dire que les lunettes de glacier Demetz (modèle Sigma, exclu Vieux Campeur) m’ont pas mal protégé, vu la quantité de sable qui volait. Je m’en tire avec un peu de Dacudose et de la vitamine B12.
Le vent va nous accompagner sans cesse pendant 7 jours. Tantôt rafraîchissant, tantôt agaçant parce qu’il fait voler une fine pellicule de sable qui s’insère partout, il se montre avant tout indispensable pour supporter la chaleur. Il sera là pour nous saluer sur la route du retour. A certains moments, on n’y voyait plus à 50 mètres par grand beau.
De toute façon, ce vent de printemps n’est rien (bonjour les rafales) pour les nomades. Il devient fort en septembre quand il vous empêche de marcher ou, mieux, vous fait reculer quand vous arrivez en haut des dunes…
Le sableOmniprésent, il fait du désert un endroit doux. Cela a beau être l’univers les plus désolé et le plus isolé de la terre, le Sahara dans les Erg est l’endroit où tout est amorti. Les bruits, les pas, les chutes., tout devient plus doux.
Le sable du Sahara est l’un des plus fins du monde. La formule célèbre est que l’on peut essayer de le retenir tant que l’on veut dans sa main, il sort quand même. Une poignée de sable, on sert le poing et il s’enfuit malgré tout. Au bout de quelques instants, il n’y a plus rien. Ce sable est presqu’aussi fin que de la farine.
Alors, avec le vent, il s’envole et il est en suspend dans l’air. On ne le voit pas, il est pourtant partout. En quelques minutes, il y en a sur toutes nos affaires, même dans les sacs fermés. Pas grand-chose mais toujours un peu. Et c’est là que les expressions autour du grain de sable prennent sens : un zoom d’APN bloqué (il faudra près d’une heure au retour pour le remettre en marche avec l’aspirateur de la maison), un objectif rayé, des fermetures éclair qui s’enrayent, des velcros qui se chargent de sable et le plus drôle : la tasse emboîtée sous la Nalgène indéfaisable. Elle nécessitera de nombreux coups de marteau au retour pour s’enlever alors que la valeur d’un quart de cuillère à café s’est infiltrée. Même porter une montre au poignet devient impossible tant le sable qui se glisse entre elle et la peau fait de l’exercice un véritable supplice. Pour supporter les lunettes de soleil, il faudra régulièrement nettoyer très soigneusement branches et pontet.
Au début, on veut lutter contre le sable, garder ses affaires propres, son outillage en fonctionnement. Mais rapidement, le sable oblige à faire le tri : couteau droit plutôt que couteau suisse, lampe étanche plutôt que Petzl dernier cri… En fait, seul le matériel étanche ou rustique (coton, boutons...) fonctionne. On découvre vite pourquoi les nomades ont le matériel qu’ils ont.
Un truc marrant pour lutter contre le sable qui ne manquerait pas de s’infiltrer dans les bidons, les bouchons sont dotés d’un morceau de sac plastique qui assure l’étanchéité.
Et pourtant, le sable est le meilleur allié dans le désert. Il le rend doux. On peut s’asseoir dessus, s’en faire un matelas, le modeler à sa guise (qu’est-ce que j’ai pu faire comme terrassement entre les matelas bien plats et les dunes pour caler ou boucher quelque chose). Il sert de contrepoids (ne pouvant planter un piquet dans le sol, on s’est contenté de remplir un tissu de sable et d’attacher la tente après), de support (dès qu’on a besoin de surélever quelque chose, on fait un petit tas) ou de cuvette (pour le feu). Il sert aussi à faire la vaisselle (on la nettoie avec le sable après le repas et on la rince juste avant de s’en servir pour le repas suivant). Il sert de four pour la galette. Il peut servir d’extincteur comme à enfouir les déchets indésirables (toutes les épluchures sont laissées bien en évidence pour les animaux).
Dans le Sahara, les étendues de sable sont Erg quand les étendues caillouteuses sont Reg.
Le chècheLe chèche est un outil important dans le désert. Ce n’est pas du folklore. Il est indispensable. Il sert de couvre-chef. Mouillé, il n’en préservera que mieux de la chaleur. Mais en fait, il ne fait pas mieux qu’un chapeau. Contre le sable, il permet d’éviter le pire mais n’empêche pas le sable de s’infiltrer malgré tout. Il permet néanmoins de respirer dans les vents de sable.
En cas de grand soleil, le chèche étendu permet de faire de l’ombre sur soi. C’est un de ses principaux avantages. Les chèches font un minimum de 3 m pour être utile. En largeur, un minimum de 60 cm est nécessaire pour pouvoir couvrir la tête et la nuque. Le mien fait 3mx1m. Je l’ai acheté à un vieux marchand de tissu. Les vendeurs de souvenirs, qui en sont les principaux vendeurs, proposent des modèles bien légers voire réalisés dans un tissu en mélange de coton et polyamide, destinés à des touristes qui ne descendront pas de leur 4x4.
L’eauC’est l’élément essentiel dans le Sahara. C’est donc en passant d’un puits à un autre que s’organisent les routes dans le désert. Aujourd’hui, de grands bidons en plastique, enveloppés dans de la toile de jute et bardés de corde, font office de réservoir. De grandes outres sur la base de pneus de camion comme autrefois en peau, servent pour les longues distances car pleines, elles ne blessent pas les animaux qui les portent. Ces outres se remplissent avec un tuyau et un entonnoir (goulot de bouteille en plastique).
Protégés simplement de l’exposition directe au soleil par une couverture lorsqu’ils sont sur les dromadaires, et dans la journée en général, ces bidons conservent l’eau fraîche.
A noter que jamais on ne verse de grandes quantités d’eau. Pour remplir un petit bidon qui sert de gourde et de contenant pour la cuisine, nos hôtes se servent d’une tasse métallique qu’ils remplissent à partir de l’un des grands bidons. Cette pratique, déjà constatée, a pour avantage de limiter les risques de perte.
D’autre part, quand ils ont à se servir d’eau pour la cuisine ou la vaisselle, ils verseront toujours une petite quantité d’eau dans la tasse et jamais directement depuis la gourde.
Durant notre périple, nous n’irons qu’une fois nous alimenter dans un puits. Il faut compter 6 mètres pour trouver de l’eau à cet endroit. Petit détail, les usagers se déchaussent pour monter sur la margelle du puits afin de limiter les risques de contamination de l’eau.
Le feuL’autre élément essentiel, c’est le feu. Il sert à la cuisine et à l’éclairage le soir. On trouve beaucoup de bois mort ou de buissons desséchés dans le Sahara. En revanche, certains endroits très fréquentés (abords de puits ou carrefour de pistes) peuvent être pauvres en bois. Il devient alors nécessaire d’en transporter.
Ici, aucun mérite pour allumer un feu. La flamme d’une allumette maintenue sous un fagot de brindilles et c’est le feu de la Saint-Jean. La difficulté réside dans le vent. Il faut trouver un endroit abrité pour qu’il n’attise trop le feu et il faut aussi apprendre à allumer son feu en lui tournant le dos. La technique de nos accompagnateurs consiste à s’asseoir sur le sol, dos au vent, pour allumer des brindilles au plus près de leur entrejambe. J’ai essayé et en moins d’une seconde mon petit bois s’embrasait à la flamme de mon briquet. Une fois la flamme obtenue, elle se transmet rapidement au bois ultra sec de plus gros diamètre.
Il faut compter un quart de stère pour la cuisine du soir et celle du matin. En gros, ramasser le bois nécessaire demande environ 30 minutes à 2 ou 3.
Pour faire la cuisine, l'outil indispensable est un plateau de vélo ou mobylette monté sur des fers à béton. Ca permet de poser les gamelles en enfonçant ce support dans le sable et de pouvoir ensuite glisser le bois dessous tout au long de la cuisine.
L’allumage du feu a été l’occasion de tester plusieurs choses, notamment le firesteel. Il est très efficace sur le feuillage d’herbes hautes dont raffolent les dromadaires. Ces feuilles séchées se trouvent le long de la tige. Une boule grosse comme le poing aura suffi pour la démonstration avec le guide. Celui-ci réussira du premier coup à allumer ses herbes.
L’ombreC’est un truc incroyable quand on découvre pour la première fois que les nomades transportent de la viande fraîche dans les bagages. Enveloppée dans du papier, rangée dans un carton puis une caisse en plastique, elle est transportée à l’air libre. Simplement, elle est toujours à l’ombre. Dès lors, le fond de l’air, frais jusque tard en saison, suffit à la maintenir à une température de conservation acceptable.
Il en est du reste de l’alimentation transporté comme de la viande. Légumes, beurre,… (ça c’est la bouffe pour touristes, les berbères n’ayant pas les moyens de faire bombance tous les jours).
A noter que les bouteilles plastiques font les meilleurs contenant pour le sucre, le sel…
Le phénomène à rechercher est donc l’ombre. Un chèche tendu au-dessus de soi suffit pour diminuer fortement les effets de la chaleur. Une couverture posée sur un buisson et l’impression de fraîcheur est immédiate. A condition que l’air puisse circuler. Car c’est l’effet conjugué du vent frais dans un espace à l’ombre qui donne la fraîcheur. Ca marche aussi bien pour un petit espace (chèche posé comme un voile au-dessus de la tête) que pour un grand (couverture tendue).
La galetteL’objectif étant de partager le plus possible la vie quotidienne des berbères, nous essayons d’apprendre les rudiments de leur routine quotidienne : faire la galette, le « pain du désert », qui cuite sous la braise, dans le sable, a un goût inimitable. Je travaille à transposer le modèle dans une version européanisée. Les proportions sont d’environ le double de farine en grammes par rapport à l’eau en millilitres (par ex. 250ml d’eau pour 500g de farine). Un peu de sel (le fond de la paume de la main pour 500g de farine). Les berbères pétrissent en général la pate dans une cuvette en émail ou métallique. Le pâton ainsi préparé est ensuite posé sur une toile de gros drap fariné. Elle-même a été posée sur un petit dôme de sable. La boule de pate légèrement farinée est alors étalée par des mouvements des doigts partant du centre vers l’extérieur. Le disque doit avoir deux à trois centimètres d’épaisseur.
La braise du feu est écartée en cercle pour creuser un peu le sable. De la braise est mise au fond. On pose la galette et on recouvre de sable mélangé aux braises restantes. Au bout de 10 à 12 minutes, quelques coups de bâton indiquent à l’oreille l’état de la cuisson. La braise et le sable sont écartés. On sort la galette, on la nettoie de toute la braise qui a pu coller dessus. On la repose en la retournant. Elle est à nouveau recouverte pour 8 à 10 minutes.
J’ai essayé de reproduire la même chose dans mon four. Le résultat n’y est pas encore. Je cherche.
La galette constitue l’essentiel de l’alimentation de ces nomades lorsqu’ils se déplacent. Ils en trempent des bouts dans l’huile. Un délice.
Pour la transporter, il l’emmaillote dans la toile qui a servi à l’étaler. Une galette fait environ une journée à deux.
Si l’on ajoute le thé. On a là l’ordinaire nomade.
To be continued…