Posté par DavidManise Salut
Petit extrait de mon bouquin :
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Il existe, dans le monde, peu de scientifiques spécialistes du comportement des personnes perdues. L'un d'entre eux se nomme Kenneth Hill. Kenneth Hill enseigne la psychologie à l'Université St-Mary's à Halifax, en Nouvelle-Écosse (une des provinces maritimes du Canada). Depuis plusieurs années, le docteur Hill s'est intéressé à la manière dont les gens situent leur position dans l'espace, mais c'est à l'occasion de la disparition d'un jeune garçon, en Nouvelle-Écosse, qu'il a été pour le première fois ammené à réfléchir sur le sujet du comportement des personnes perdues. Les équipes de recherches, qui cherchaient déjà le jeune garçon sans succès depuis plusieurs jours, avaient contacté le docteur Hill pour lui demander des conseils sur le comportement prévisible du jeune garçon égaré, dans le but, évidemment, d'accélérer les recherches. Cherchant le jeune garçon sur le terrain pendant la journée, le docteur Hill passait ensuite ses nuits à feuilleter la littérature scientifique dans l'espoir de trouver des indices, des études scientifiques ou des pistes de réflexion qui auraient pu aider les équipes de recherches à retrouver le gamin. Sans succès. Ces données n'existaient tout simplement pas dans la littérature scientifique à l'époque.
Plusieurs jours après la disparition du petit Andy, des sauveteurs l'ont retrouvé... mort d'hypothermie dans la forêt. Ce fut un choc brutal pour les très nombreux sauveteurs bénévoles ayant participé aux recherches, et peut-être encore plus pour le docteur Hill lui-même, qui s'est par la suite plongé avec détermination dans cette problématique. Accumulant, au fil des ans, des centaines d'études de cas, interviewant les personnes retrouvées, développant des ensembles statistiques de plus en plus complets, et étudiant de près les systèmes cognitifs qui déterminent le comportement des gens perdus, Kenneth Hill a particulièrement bien cerné le problème. C'est notamment son travail qui permet maintenant aux équipes de recherche et de sauvetage de Nouvelle-Écosse (dont il fait d'ailleurs partie intégrante aujourd'hui, à titre bénévole) de compter parmi les plus efficaces du monde. Et son travail fait désormais des petits, alors que de plus en plus d'équipes de recherche et secours, aux États-Unis et au Canada, s'intéressent à ses méthodes et les utilisent sur le terrain avec des taux de réussite qui parlent d'eux-mêmes.
9 tactiques courantes pour retrouver son chemin :
Selon Kenneth Hill (Lost Person Behavior, 1998), les personnes perdues utilisent neuf types de tactiques plus ou moins efficaces pour retrouver des balises connues et ainsi être en mesure de reprendre le fil de leur progression.
Déplacements aléatoires : Complètement désorienté, et dans un état d'anxiété souvent intense, la (ou les) personne(s) perdues recherchent un point de repère ou un endroit qui semble familier de manière totalement aléatoire. La plupart des gens commencent par là, marchant généralement à une vitesse élevée et en suivant un chemin de moindre résistance (évitant les obstacles, descendant plutôt que montant, etc.). Cette méthode n'est évidemment pas très efficace, et elle suffit d'ailleurs très souvent à se perdre complètement alors que la personne n'était jusqu'alors que désorientée. Selon sa durée, cette phase épuise plus ou moins la personne égarée sans que la dépense d'énergie n'apporte le moindre bénéfice. Heureusement, la plupart des adultes réussiront à se calmer et à mettre en branle une tactique plus efficace pour retrouver leur chemin. Seuls de rares individus (notamment quelques enfants d'âge scolaire s'étant perdus seuls) continueront à se déplacer ainsi de manière aléatoire tout au long de leur séjour forcé dans la nature.
Suivi d'éléments linéaires : La personne perdue, à force de se déplacer de manière aléatoire, peut tomber sur un élément linéaire quelconque, qu'elle suivra sans savoir où cela pourra la mener. En France métropolitaine, peut s'agir de sentiers ouverts par les animaux sauvages, de bouts de vieux sentiers abandonnés, de sections de clôtures oubliées (parfois depuis plusieurs décennies), de lignes de crête, de petits ruisseaux... La personne a ainsi l'impression d'être plus méthodique dans sa tentative de retrouver son chemin, mais dans les faits ce type de tactique est relativement inefficace. Souvent, arrivant dans un cul de sac ou débouchant sur un marécage isolé, une barre rocheuse, etc. la personne perdue reprend tout simplement un mode de déplacement aléatoire, à la recherche d'un autre élément linéaire à suivre au hasard (ou d'une meilleure idée). Ce genre de tactique, guère plus efficace que les déplacements aléatoires, est souvent une option retenue par les enfants de moins de douze ans.
Marche en ligne droite : Convaincue du fait que son salut se trouve dans une direction donnée, la personne qui emploie cette tactique se fixe un azimut et marche en ligne droite dans cette direction. Il n'est pas rare qu'elle croisent, ce faisant, des pistes, des voies ferrées, des champs cultivés ou même des jardins privés, attenants à des maisons, et qu'elle les dédaigne parce qu'ils ne sont pas « la bonne direction ». Ce genre d'entêtement complètement surréaliste est souvent commis par les personnes souffrant d'un excès de confiance dans leurs capacités à s'orienter, et qui considèrent comme honteux de se retrouver ainsi perdu dans la nature. C'est aussi ce genre d'entêtement qui mène beaucoup de chasseurs expérimentés dans les parties les plus reculées et les plus denses des forêts, partout dans le monde, forçant les équipes de recherche à parcourir des kilomètres dans les pires conditions pour les retrouver. On a également vu ce genre d'entêtés se cacher des équipes de secours, ou refuser leur aide en disant « non merci, tout va bien »... alors qu'ils étaient visiblement épuisés, et qu'ils se trouvaient ainsi seuls et sans équipement à des kilomètres de toute voie d'accès et de tout sentier... Évidemment, ce genre de comportement correspond aussi à un état d'anxiété élevé, ce qui explique les comportements parfaitement incohérents qu'on observe.
Exploration systématique : la personne égarée choisira un point de repère fixe. Gardant son point de repère en vue, elle s'éloigne progressivement dans plusieurs directions à la recherche de quelque chose de familier, et revenant systématiquement à son point de repère entre chaque segment d'exploration. S'il arrive que la personne perde son point de repère, elle repassera souvent par une phase d'exploration aléatoire, puis pourra trouver un nouveau point de repère convenable et recommencer l'exploration systématique. Cette méthode est beaucoup plus efficace pour retrouver un endroit familier. Elle offre aussi l'énorme avantage de ne pas trop s'éloigner de son point d'origine, ce qui facilite le travail des sauveteurs.
Exploration systématique de sentier/route : la personne, croisant un sentier ou une route, utilisera une intersection pour sonder chaque direction de manière systématique, en revenant à l'intersection entre chaque segment d'exploration. On peut ainsi espérer trouver un panneau ou des indices permettant de retrouver son chemin. En l'absence de tout indice, la personne égarée pourra revenir à son intersection « repère » pour repartir ensuite plus loin dans chaque direction. La présence d'un sentier a quelque chose de rassurant et les personnes qui trouvent un sentier n'auront généralement pas envie de le quitter, préférant plutôt l'explorer à fond, quitte à y passer beaucoup de temps.
Recherche d'une vue d'ensemble : en forêt, notre champ de vision est souvent limité à un rayon de quelques mètres, aussi une tactique souvent employée par les personnes égarées est de rechercher un endroit d'où elles pourraient voir une vue d'ensemble du territoire. Beaucoup de gens se retrouvent donc à grimper dans les arbres, ou à escalader les collines ou les montagnes dans le but de voir où ils sont. Cette tactique, bien qu'elle puisse être efficace, reste risquée. Beaucoup de sujets, en effet, se blessent de cette manière.
Retour sur ses pas : une fois égarée, la personne tente de revenir sur ses pas. Cette méthode peut être très efficace, sur sentier, si la personne a la patience de l'employer (elle peut d'ailleurs se coupler à l'exploration systématique sur sentier). Hors des sentiers, seules les personnes sachant lire les pistes peuvent revenir sur leur pas efficacement. Cela reste une technique longue et difficile à maîtriser, et donc statistiquement peu significative (peu de gens dans le monde savent réellement pister).
Sagesse populaire : la sagesse populaire nous offre bon nombre de « faits » plus ou moins véridiques qui doivent théoriquement nous aider à retrouver notre chemin. L'un des plus courants est « les cours d'eaux mènent toujours à la civilisation ». Ça n'est pas toujours vrai. Bon nombre de ruisseaux ou de cours d'eau se terminent simplement dans des marécages perdus, ou dans des vallées encaissées, alors que d'autres prennent tout bonnement des chemins souterrains pour ressortir quelques kilomètres plus loins... D'ailleurs, quiconque a déjà pratiqué le canyoning sait que la berge de certains petits ruisseaux, qu'ils mênent ou non à la civilisation, peuvent largement justifier l'utilisation d'équipement d'escalade... Bref, la sagesse populaire n'est pas toujours très sage.
Ne pas bouger : c'est la méthode qui est recommandée par la plupart des programmes de sécurité dans la nature, et elle fonctionne généralement bien dans la mesure où l'on a prévenu au moins une personne fiable de notre départ. Une fois égarée, la personne attend simplement les secours, qui viennent plus ou moins rapidement selon la situation. Malgré l'efficacité prouvée de cette tactique de réorientation, très peu de gens l'utilisent. Parmi plus de 800 cas étudiés par Kenneth Hill, seules deux personnes l'ont employée. Or, s'il est vrai que la plupart des sujets sont effectivement retrouvés immobiles (surtout après avoir été égarées plus de 24 heures), c'est surtout à cause de l'épuisement ou à cause de blessures... Chaque pas de plus dans une direction incertaine est, par ailleurs, une dépense d'eau, d'énergie et de ressources précieuses. Selon le type de terrain ou les conditions météos, chaque pas de plus peut aussi être un risque ! Bref, chaque pas est une sorte d'investissement, et ce genre d'investissement, avant d'être tenté, doit avoir des chances raisonnables de rapporter plus qu'il ne coûte, sans quoi il convient de faire comme la plupart des banquiers... et de ne pas tenter le coup si on n'est pas sûr que le jeu en vaut la chandelle.
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Pour plus de détails, la page perso de K. Hill...
http://www.sarbc.org/k-hill.html (in english...)
Ciao !
David