Bonsoir,
Il serait temps de parler un peu de la lame.....
Forme :Pour la forme, elle est classique. Le dos de la lame est dans le prolongement du manche selon les recommandations de pas mal de bushcrafteur.
Pas de forme compliqué, une forme semblable au couteau n°3, mais un peu plus de ventre afin de bénéficier d'un peu plus de pouvoir de coupe. Un ricasso réduit au minimum et une longueur de lame entre 10 et 12 cm. Je trouve que cette longueur est suffisante si on utilise, en plus, une hache.
Composition:Dans ce domaine, la marge de manœuvre était faible. L'artisan contacté a la réputation d'être un bon forgeron et un expert en métallurgie. Il est d'ailleurs cité dans certain ouvrages traitant de la métallurgie comme étant une référence dans ce domaine. Lors du choix d'un coutelier, l'amateur est bien obligé de se fier à la "réputation" et cet aspect est beaucoup plus facile à appréhender de nos jours avec internet.
Je dois dire que ma démarche a été un peu différente, puisque j'ai d'abord rencontré l'artisan et sa production, ce n'est que par la suite que j'ai pris la peine de m'informer sur le net.
Afin de maximiser le pouvoir de coupe, la lame sera avec un cœur en XC130 des forges du Tarn. Initialement un acier élaboré pour faire des limes. Cet acier fin, au carbone, possède 1,30 % de carbone, un peu de manganèse et un peu de silicium. C'est tout.
Techniquement, il peut donc former beaucoup de carbures avec le fer, plus que la saturation (atteinte vers 0.8% de C ). Le reste du carbone se retrouvera sous la forme de cémentite intergranulaire. Le challenge étant d'obtenir un grain très fin (pouvoir de coupe, solidité) et d'éviter les agrégations (pas bon pour la coupe et la solidité). Cet acier peut atteindre une dureté, après revenu, de plus de 60 HRc. Sans problèmes.
Encore une fois, ce n'est pas l'acier qui détermine le pouvoir de coupe, ni la solidité de la lame, ni la solidité du couteau, ni son tranchant, ni sa prise en main, ni ses qualités d'usage. Le choix d'acier est juste un facteur, c'est un POTENTIEL. Comme dans une chaîne, c'est l'ensemble des maillons qui détermine l'usage final. Exemple : le meilleur couteau du monde aiguisé par un maladroit (moi par exemple) ne vaudra pas grand chose sur le terrain.
LE XC130, n'est pas un acier résilient du fait de son taux élevé de carbone, il casse assez facilement (charpy test pas terrible et fragilité au froid). Afin de limiter ce phénomène inhérent à l'acier, on pratique un sandwich avec du fer pur, qui lui est très résilient.
Le coutelier utilise du vieux fer de cerclage de roue de charrette, peu homogène. Ce n'est pas que pour l'esthétique moiré et "vintage" que le fer procure sur le produit final. Selon lui, il se soude bien (ce qui est normal pour du fer) mais diffuse peu dans l'acier carburé de la partie centrale (ce qui est plus étonnant). Cela serait dû aux impuretés, de type soufre ou phosphore, que les fer anciens possédaient. L'ensemble forme un assemblage composite avec un cœur très dur mais peu résilient, entouré de deux couches de fer résilientes.
S'adressant à un coutelier réputé pour ses lames sandwich, il aurait été dommage de ne pas investir dans une lame de ce type. Par ailleurs cela procure un gain objectif en terme de fonctionnalité, ce n'est pas qu'un exploit technique ou un gain purement esthétique.
Mais si un item fonctionnel est, en plus, agréable à l'œil : c'est mieux.....n'est-ce pas messieurs ?
Forge :La lame est forgée dans une forge de type japonaise au charbon. Le soudage se fait à l'enclume (250kg) et au martinet. Dans l'atelier (bien rangé au passage) la forge est au fond du bâtiment, l'enclume principale devant à gauche et le martinet encore à gauche. Le martinet est un modèle à moteur électrique, entrainement par bande de cuir, rappel par ressort à lame. La commande se fait au pied et son action est dosable et très progressive. Pour moi le martinet est un outil totalement traditionnel : d'une part par le passé le forgeron avait des aides maniant la masse, d'autre part les martinets existent depuis plus de mille ans.
Pour le couteau, la soie est étirée à la forge ce qui est un gage de solidité. Cette façon de faire évite les angles vifs qui sont souvent la cause de ruptures au niveau de l'emmanchement.
Exemple sur un cold steel dont on distingue l'angle vif au niveau du ricasso. Ce qui pour un métallurgiste constitue une "amorce de rupture". Dans le cas des couteaux c'est souvent du au mode d'élaboration par stock removal avec les outils modernes :
(La raison de la rupture n'est pas évidente. Outre une technique d'emploi du couteau inadaptée, il peut s'agir d'un défaut de géométrie dans le design du couteau (angle vif), d'autant plus que l'angle vif favorise l'oxydation interstitielle...elle même favorisée par la jointure manche/lame. On peut y voir aussi un problème d'austénite résiduelle s'étant transformée en martensite par grand froid.)
TT :Liminaire :
Je vais essayer de donner quelques informations sur les traitements thermiques,
au risque de me tromper. Lors de la livraison du couteau, nous avons passé quelques heures à en discuter, mais je ne peux pas affirmer d'avoir tout saisi. D'autant plus que d'autres sujets ont été abordés (Damas de corroyage, Damas au creuset...). Il peut donc y avoir confusion dans mon esprit.
Pour cette raison je vais décrire globalement le processus sans rentrer dans les détails opératoires. De même le "tour de main" est fondamental et il ne s'acquière que par l'expérience (que je n'ai pas) ou par l'imitation auprès d'un forgeron.
En clair : pour les détails et afin de s'assurer que je ne me suis pas trompé dans la description des TT, voyez avec Plazen.(A noter que Plazen n'était pas opposé à parler de ses méthodes et à ce que je relate ses propos sur le forum. AMHA, seuls ceux qui sont assez sûr d'eux mêmes et de leur tour de main peuvent pratiquer dans la transparence...)
Il semble bien, à parcourir le net, que cet artisan soit reconnu comme étant compétent sur le sujet des TT, y compris par ses pairs. Il réalise souvent des formations de forges à destination d'un public de particulier et de professionnels. Voici ce que j'ai observé :
D'une part, il bénéficie d'une grande expérience accumulée car il travail souvent les mêmes matériaux. Il reste dans son style. Il n'hésite pas à casser des lames pour vérifier son travail et à solliciter l'expertise de son réseau d'amis, certains d'entre eux étant des métallurgistes confirmés.
D'autre part, il s'inspire des méthodes de forgeron japonais et semble avoir appris auprès de nombreux professionnels.
Mais, et c'est moins courant, c'est aussi quelqu'un qui est en recherche permanente sur le plan théorique afin d'éclairer sa pratique : il possède une bibliothèque avec de nombreux ouvrages sur la métallurgie dans plusieurs langues, il compile les articles scientifiques sur les aciers fins au carbone hypereutectoïdes (plus de 0.8 % de carbone).
Une Bible ("did certified").
Concrètement :
Je pense pouvoir dire que le couteau a été trempé à l'eau tiède, enduit d'une légère couche d'argile ce qui améliore la trempe :
source (grâce à Berthramm) :
http://coustil.free.fr/metal_selective_fr.htmlQuelques subtilités interviennent afin de minimiser les déformations lors de la trempe. La trempe à l'eau et à l'argile permet de descendre très vite en température (nécessaire avec le XC130) et d'éviter la formation de perlite (nez très proche dans un acier très carburé). Mais elle entraîne de fortes contraintes et donc des risques de rupture si la géométrie de la lame et l'étape de forge n'est pas maitrisée.
Avec ce fluide de trempe, la plus grande partie de l'austénite se transforme en martensite, la dureté de l'acier est maximale. Certaines subtilités lors de la phase initiale et le déroulement de la première partie du traitement thermique permettent d'affiner au maximum le grain.
Plusieurs revenus sont effectués afin de compléter la transformation de l'austénite dans la mesure ou la trempe initiale n'est pas menée à une température inférieure au 0°c, ce qui pourrait sembler souhaitable sur un acier fortement carburé. En effet la température Ms étant basse pour un acier très carburé, la température Mf n'est atteinte que pour une température inférieure à 0°C. Mais les moyens cryogénique (azote liquide...) ne s'inscrivent pas dans la tradition et sont chers et complexes à mettre en œuvre.
Pour pallier à cet inconvénient, il réalise des revenus multiples à la friteuse, selon des températures différentes et des temps déterminés, afin de traiter les éventuels problèmes d'austénite résiduelle. La soie subit un traitement spécifique afin qu'elle se montre résiliente.
Emouture :Après avoir testé à la lime spéciale la dureté des lames issues du TT, elles sont travaillées au backstand (il en a deux). Puis affutage soigné. Vraiment soigné.
à suivre....